Obligation de qui? Résultats de quoi? (page 5)


L'obligation de conscience comme base de la compétence

Jeter sur soi-même un regard critique et sans complaisance est sans doute l’un des exercices des plus exigeants, mais aussi des plus féconds. Cette métacognition de type socratique est la condition même de la compétence et du progrès professionnel, tout comme elle l’est de l’apprentissage. Qu’elle prenne la forme d’une analyse réflexive des pratiques quand il s’agit des individus ou d’une évaluation institutionnelle quand il s’agit d’un établissement, c’est ce qui permet de dépasser le simple fonctionnement pour assurer le développement, entendu comme le maintien des acquis , la correction des lacunes et l’amélioration continue .

Force est de constater que cette conscience de soi-même en action, si elle commence à être encouragée chez les élèves en apprentissage, est loin d’être répandue chez les enseignants en exercice. Comparons seulement le temps consacré, lors des journées pédagogiques par exemple, à planifier ce que l’on va faire à celui passé à évaluer ce que l’on a fait : ne nous étonnons plus que la pratique professionnelle générale soit davantage caractérisée par l’activisme que par la réflexion . Il est urgent, croyons-nous, de dégager des espaces de réflexion où les individus, les équipes et les établissements auraient l’obligation, puisque c’est d’obligations que l’on parle ici, de s’autoévaluer et de porter un jugement critique et diagnostique sur leur propre action. À quand, par exemple, un portfolio professionnel pour les enseignants et les directions d’établissements? À quand un processus d’authentique supervision axé sur le développement d’une conscience réflexive davantage que sur des préoccupations de gestion administrative? À quand des politiques de perfectionnement qui feraient l’obligation de faire précéder tout perfectionnement d’une analyse de besoins? À quand des redditions de comptes dépassant le simple rapport d’activités? À quand des plans d’action nécessairement appuyés sur un diagnostic préalable?

Malgré ses limites et son réductionnisme quantitatif, il faut reconnaître que l’opération « plans de réussite » est un pas dans la bonne direction en créant précisément, pour les écoles, un tel espace de réflexion. Il est cependant à craindre, au vu de ce qui s’est passé pendant leur élaboration en catastrophe lors de l’automne 2000, que cette phase essentielle d’analyse réflexive ne porte que sur les résultats scolaires ; et il est très clair que le suivi ministériel de ces plans de réussite ne s’attachera qu’aux cibles quantitatives, c’est-à-dire encore une fois aux seuls résultats scolaires. L’effort ne porte pas sur le bon objet. La question « Dans quelle mesure est-ce que je juge satisfaisante ma gestion de classe? », par exemple, est radicalement différente de « Dans quelle mesure le comportement des élèves de ma classe est-il satisfaisant? ». La question « Dans quelle mesure est-ce que je favorise la réussite de mes élèves? » est beaucoup plus interpellante que « Dans quelle mesure mes élèves réussissent-ils? » Et l’on se pose beaucoup plus facilement celle-ci que celle-là, hélas!

À se centrer sur des résultats qui ne sont pas le produit exclusif de nos seuls processus, on retombe dans la même ornière : la tentation de focaliser sur les responsabilités des autres : des élèves qui ne font pas d’efforts, des parents qui ne collaborent pas, de la direction qui « ne met pas ses culottes » et du MEQ qui ne finance pas suffisamment. Ce n’est qu’en renonçant à l’obsession des résultats scolaires que l’on pourra se recentrer sur les processus que l’on contrôle, les seuls qu’il soit possible d’améliorer.

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