DISCAS

Les nouveaux besoins de perfectionnement des directions d'école

Recherche et rédaction: Jacques Henry et Jocelyne Cormier.

Section 3: la mission pédagogique

Table des matières Section suivante

LA MISSION PÉDAGOGIQUE

La déconcentration du système scolaire renvoie aux écoles d'importantes responsabilités pédagogiques, auparavant assumées par le Ministère ou par les services éducatifs des commissions scolaires. Même si le Ministère entend définir de façon plus précise les savoirs et les habiletés que les élèves devront maîtriser à chaque étape de leur curriculum, il sera de la responsabilité quasi exclusive des écoles de déterminer les moyens à prendre pour assurer ces apprentissages, pour réaliser l'arrimage du discours des programmes avec la pratique pédagogique et pour évaluer les apprentissages.

Les directions d'écoles sont conscientes de l'importance de cette facette de leur rôle. Le leadership pédagogique des directeurs d'écoles fait partie depuis longtemps du discours qu'on leur tient et qu'ils tiennent eux-mêmes. Mais la quasi-disparition des encadrements provenant des instances supérieures va rendre cette tâche encore plus exigeante. Le directeur d'école devra souvent, dans la pratique, suppléer, dans la mesure de ses moyens et de ses compétences, aux conseillers pédagogiques disparus. Il ne lui suffira plus de motiver les enseignants à l'innovation pédagogique ou de rassembler les énergies: il lui faudra aussi, pour exercer un authentique leadership, se donner aussi un minimum d'expertise dans certains domaines pédagogiques et accroître sa connaissance et son contrôle des pratiques.

La commande sera difficile, non seulement parce qu'elle exige du temps, du souffle et de la vision, mais aussi parce que c'est dans ce domaine que les réticences des enseignants sont le plus marquées, au nom de l'autonomie professionnelle. Elle exigera donc, en plus, du courage et du doigté.

Ici aussi, trois grands domaines de perfectionnement nous semblent devoir être assurés auprès des directions d'écoles.


LES PARADIGMES PÉDAGOGIQUES

Ces paradigmes, en l'état actuel de la sensibilité pédagogique québécoise, sont de quatre ordres.

Le premier concerne le discours ministériel , récemment énoncé dans Réaffirmer l'école . Il s'agit du projet éducatif national, qui sera graduellement actualisé au cours des prochaines années, notamment à travers la réforme du curriculum et la révision des programmes d'études. Le directeur d'école devra maîtriser, encore davantage que son personnel, les finalités et les orientations de ce discours, ainsi que les applications de celui-ci dans les programmes d'études et les contenus de formation.

Le second paradigme découle de l'omniprésence des thèses cognitivistes dans la pédagogie contemporaine. Au-delà des incarnations particulières qu'en constituent, par exemple, l'enseignement stratégique, la gestion mentale ou l'A.P.I., le directeur d'école devra maîtriser les principes pédagogiques découlant des découvertes de la psychologie cognitive, tant pour éviter le sectarisme qui consisterait à n'admettre qu'une seule méthode que le relativisme qui consisterait à les considérer comme toutes équivalentes du moment que l'enseignant y croit.

Le troisième paradigme est celui de l'apprentissage coopératif . Ici aussi, il s'agit moins de se former à la méthode de tel pédagogue coté ou de tel consultant de renom que de comprendre les impacts sociaux et cognitifs considérables et positifs d'un enseignement qui exploite la richesse des interactions dans les situations d'apprentissage et assure la régulation dynamique des apprentissages par ces interactions.

Le quatrième paradigme concerne l'intégration des apprentissages : qu'il s'agisse de la pédagogie par projets, d'approches transdisciplinaires ou interdisciplinaires, d'acquisition de compétences transversales, de formation fondamentale, d'intégration des matières ou des centres d'intérêts (et toutes ces préoccupations ne sont pas synonymes, loin de là!), le directeur d'école devra développer une familiarité suffisante avec ces approches pour s'assurer que l'enseignement donné dans son école évite à la fois le piège du cloisonnement spécialisé des apprentissages et celui de la dilution des objets d'apprentissage dans de nouveaux contenants à la mode.

On peut également considérer que l'intégration des technologies constitue un cinquième paradigme pédagogique. Ce dossier fera toutefois l'objet d'un développement distinct, plus loin dans ce document.

En ce qui concerne le discours ministériel, un perfectionnement continu s'imposera. Le Ministère nous annonce en effet un chantier d'une dizaine d'années, où les changements seront échelonnés et nombreux. En ce qui concerne les autres paradigmes, la compréhension des principes pédagogiques en cause est suffisante et s'acquiert par un perfectionnement d'appoint .

LA SUPERVISION PÉDAGOGIQUE

La cohérence de l'enseignement donné dans une école réside dans sa capacité à respecter et à gérer harmonieusement à la fois la pression convergente des discours et la richesse divergente des pratiques sans que cela n'entraîne de fracture ou de dissociation. Cette cohérence, au niveau d'un établissement scolaire, relève principalement de la capacité du directeur d'école d'exercer une supervision pédagogique éclairée, bien ciblée, souple, stimulante et correctement instrumentée.

La nécessité d'une supervision pédagogique ne s'impose pas à l'évidence dans le quotidien. Les directeurs d'écoles sont unanimes à en énoncer l'importance et à en constater la difficulté. Les pièges sont, en effet, nombreux: résistance des enseignants (avec les impacts conséquents sur le climat de travail), risque de bureaucratisation, difficulté de différencier les objets essentiels des manifestations superficielles, danger de laisser ses préférences personnelles teinter ses interventions, risque d'improviser et de ne réagir qu'à certaines situations d'urgence, manque de connaissance des pratiques réelles et manque de temps pour s'en donner une, etc.

Outre une excellente maîtrise du discours, qui en est un préalable incontournable, une supervision pédagogique efficiente requiert essentiellement, selon nous, des attitudes favorables (conviction de son utilité, capacité de questionner, aptitude à créer un climat d'ouverture et de confiance), une organisation précise du temps (identification des opérations à mener, gestion d'un calendrier de rencontres, déblocage de périodes d'analyse et de réflexion) ainsi que des instruments à la fois légers et efficaces (grilles de planification, d'observation et d'analyse, journal de bord, etc.).

Ce dossier est aussi une composante majeure (sinon la pièce maîtresse) d'un dossier plus vaste qui, à notre avis, prendra une importance accrue à moyen terme: l'évaluation de l'enseignant . La sensibilité socio-professionnelle face à ce dossier chaud est en train d'évoluer (ne relevons que la demande de création d'un ordre professionnel des enseignants, actuellement à l'étude, qui aurait été impensable voilà seulement quelques années) et tend à créer une demande d'imputabilité à tous les paliers de la structure scolaire.

Vu la complexité du dossier, le fait qu'il s'applique à des objets (pratiques pédagogiques) diversifiés et en évolution constante et la nature graduelle de son implantation dans un établissement, un perfectionnement continu est recommandé.

L'ÉVALUATION DES APPRENTISSAGES

Pour ce que nous pouvons en percevoir dans les écoles, de tous les objets décentralisés vers l'école dans le cadre de l'actuelle réforme scolaire, celui de l'évaluation des apprentissages est celui que les directions d'écoles sont le moins bien préparées à gérer. Dans plusieurs cas, elles sont d'ailleurs peu conscientes de ce fait, puisque, selon notre consultation, cette préoccupation vient après plusieurs autres. À tort, selon nous.

Il s'agit d'un dossier technique et complexe, qui était jusqu'ici largement assumé par les instances supérieures, particulièrement les services éducatifs de la commission scolaire, dans bien des milieux. Le fameux Règlement sur l'évaluation des apprentissages , parfois appelé "politique d'évaluation", a souvent dispensé l'instance locale de réflexion approfondie sur le sujet. De plus, les conseillers pédagogiques fournissaient généralement des instruments dans les programmes jugés essentiels.

La situation, dans ce domaine, va changer du tout au tout: le Ministère a déjà annoncé son intention de redéfinir le cadre général de l'évaluation des apprentissages; les programmes vont changer à un rythme accéléré et rendre obsolètes les instruments hérités des années précédentes (définitions du domaine, instruments de mesure, épreuves, etc.); les pratiques pédagogiques vont se diversifier (introduction des technologies, pédagogie par projets, intégration); et, sauf à certains points-charnières dans le curriculum, les écoles vont devoir assurer seules l'évaluation des apprentissages.

L'ère qui se termine a été dominée, en ce qui concerne ce dossier, par les spécialistes de la mesure et de l'évaluation. Malgré leur compétence et leurs bonnes intentions, une certaine tendance à l'hermétisme et, parfois, une intransigeance idéologique, ont amené chez les enseignants (et chez les directions d'écoles tout aussi bien) une perte d'intérêt pour ce dossier quand il n'était carrément pas anémique ou discrédité, perçu comme une nuisance bureaucratique.

Et pourtant, ce dossier va prendre encore plus d'importance. L'État a clairement manifesté son intention d'assurer un meilleur contrôle sur le cheminement des élèves, de mieux coordonner les apprentissages d'une classe à l'autre et de disposer, à différents moments du curriculum de l'élève, d'un bilan précis et fiable des apprentissages de l'élève, de façon à intervenir rapidement face aux déficits cognitifs et à limiter le décrochage scolaire. En outre, de nouveaux modèles d'évaluation (par portfolio, par exemple) se font jour et devront être assimilés et encadrés.

La pente à remonter, dans les établissements scolaires, est donc considérable. Sans vouloir transformer les directions d'écoles en docimologues patentés, il sera urgent de les sensibiliser à l'importance du dossier et de les instrumenter pour qu'elles puissent le superviser adéquatement.

Un perfectionnement important, de type continu , sera nécessaire. Il devra être en lien étroit avec les divers éléments du discours ministériel et fournir graduellement aux directions d'écoles les outils techniques nécessaires à une supervision régulière: outils d'analyse des résultats scolaires, maîtrise des définitions du domaine, etc.

Table des matières Section suivante