Obligation de qui? Résultats de quoi? (page 4)


L'obligation de processus

On ne demande pas à un médecin de guérir ses patients, mais de les soigner ; on ne demande pas à un avocat d’obtenir l’acquittement de son client, mais de lui assurer une défense pleine et entière. L’obligation de processus (et non de résultat) fait partie intégrante de la déontologie de toute profession fondée sur des heuristiques (les stratégies) plutôt que sur des algorithmes (les procédures). Constatons que c’est clairement le cas en éducation.

Toutefois, l’analogie médicale ou juridique ne tient pas sur toute la ligne. Les actes du médecin ou de l’avocat, tout professionnels qu’ils soient, sont hautement codifiés par la pratique de la profession, au point de devenir souvent des protocoles, ce qui est loin d’être le cas des actes éducatifs. Et ils sont constamment soumis aux tests de réalité que constituent, respectivement, l’état objectif du patient ou le verdict du tribunal. Rien de tel en éducation, où l’inceste est institutionnalisé entre celui qui prodigue les services et celui qui en évalue les résultats : l’enseignant, dans les deux cas. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que le médecin fait cause commune avec son patient et l’avocat avec son client. On ne saurait en dire autant de l’enseignant envers ses élèves : à cause précisément de la fonction d’évaluation (et, ne nous le cachons pas malgré le discours officiel, à cause des besoins de sélection du système scolaire et des employeurs), une distance, toute teintée d’ambiguïté qu’elle soit, doit être maintenue envers l’élève. Tout le processus éducatif souffre de cette ambiguïté, culturelle plus que structurelle, mais trop profondément enracinée sans doute pour qu’il soit réaliste d’espérer y changer quoi que ce soit.

Signalons finalement que, contrairement au médecin ou à l’avocat dont les processus, soigneusement consignés au dossier médical ou au procès-verbal, s’effectuent dans une cage de verre, une certaine culture professionnelle a rendu les enseignants réticents à rendre compte de leurs processus. C’est le syndrome de la « fenêtre givrée ». Désolons-nous que le système scolaire, les médias et le public en général leur fassent l’injustice de les juger sur les résultats de leurs élèves; mais constatons du même souffle que c’est souvent la seule chose qu’ils laissent sortir de la salle de classe… Faute d’objectifs, on se rabat sur les buts.

Les processus éducatifs (les façons de faire), puisque c’est sur eux et sur eux seulement que pourra porter toute obligation que l’on voudra faire à l’école, ont un urgent besoin d’être précisés, clarifiés et posés en termes d’objectifs, au sens ou nous en avons traité ci-dessus; nous nous inquiétons de voir que les efforts de développement institutionnel actuels portent souvent bien davantage sur les buts que sur les objectifs; que les redditions de comptes et les rapports annuels devenus plus fréquents adoptent plus souvent le mode descriptif du rapport d’activités que le mode critique du diagnostic et du jugement; et que les référentiels soient, dans les faits si peu contraignants. Nous y revenons dans un instant.

Mais il faut d’abord établir que la compétence de l’éducateur (et celle de l’apprenant, tout aussi bien) comporte, au-delà de la capacité d’accomplir des tâches complexes, une composante essentielle qui relève de la conscience ; la conscience que l’on a de la portée et des limites de sa compétence est une condition sine qua non de l’exercice même de cette compétence et de l’amélioration de celle-ci, seule garantie de la qualité des processus que cette compétence contrôle ensuite. Cette méta-compétence, si l’on peut dire, a besoin de trois conditions pour se développer : l’analyse réflexive, le regard de l’autre et des référentiels reconnus. C’est maintenant bien connu dans le domaine de l’apprentissage, et le nouveau Programme de formation a précisément été construit sur ces fondations pour l’élève. On tarde cependant à transférer ce paradigme à l’enseignement et à l’éducation. C’est là que, à notre avis, le bât blesse et c’est ce à quoi il nous semble urgent et fécond de s’atteler.

Obligation de quoi? De résultats ? Ce sont des feuilles. De processus ? Ce sont des branches. De compétence ? Nous arrivons au tronc. De conscience ? Voilà la racine.

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