Obligation de qui? Résultats de quoi? (page 2)


L'obligation de résultats

Une entreprise se juge d’après ses profits, un joueur de baseball d’après sa moyenne au bâton et une équipe de hockey par son nombre de victoires. Bref, dans tous ces cas, d’après ses résultats, puisque ce sont les raisons d’être respectives de l’entreprise, du frappeur et de l’équipe de hockey. Il est très tentant d’appliquer le raisonnement à l’école, et de la juger, elle aussi, selon ses résultats (réduits à la réussite de ses élèves, exprimée en nombre d’échecs, taux de persistance ou moyenne aux examens).
L’ennui, c’est que si la moyenne au bâton renvoie directement à la performance du frappeur et les bénéfices, directement à la performance de l’entreprise, la réussite des élèves ne renvoie pas directement à la performance de l’école. Pas plus que l’état de santé des patients d’un hôpital ne renvoie directement à la performance des médecins. Dans ces deux cas, ces indicateurs renvoient à la performance des élèves ou des malades. Et ce n’est surtout pas à ceux-ci qu’on fera une « obligation de résultats », et pour cause! Alors, dans ce cas, obligation de qui?

La réussite scolaire d’un élève est bien un résultat, mais le résultat complexe d’un ensemble de variables (la motivation de l’élève, l’influence de la famille, l’environnement socio-éducatif et tutti quanti) parmi lesquelles l’influence de l’école (et particulièrement celle de l’enseignant) ne figure que comme une parmi d’autres, et pas nécessairement la plus déterminante. Ces indicateurs de la réussite scolaire des élèves ne peuvent pas être assimilés aux résultats de l’école; ils peuvent servir à éclairer un jugement porté sur l’école (et donc une obligation conséquente faite à ses artisans) mais ils ne peuvent en aucun cas la fonder.

On voit donc qu’il est périlleux de juger d’une école sur la base du résultat de ses élèves. Le péril s’accroît quand on regarde la qualité des résultats d’élèves sur lesquels on prétendrait fonder un tel jugement : résultats vieux de plusieurs années; résultats d’examens par objectifs alors qu’on prétend développer des compétences; résultats qui, à l’exception des quelques programmes soumis à une épreuve unique nationale, proviennent d’instruments de mesure divers et pas toujours comparables; résultats provenant, dans leur expression, du jugement de ceux qui sont justement payés pour les produire. Et en supposant même que l’on puisse améliorer la qualité des instruments de mesure jusqu’à leur conférer une validité objective (c’était le rêve behavioriste qui a guidé les efforts des spécialistes de la mesure en éducation pendant des décennies), on se heurte toujours à la barrière du principe d’incertitude : on ne peut être vraiment sûr que de ce qui n’est pas très important. On se souviendra plaisamment de la réponse de Binet, créateur des premiers tests de Q.I., à qui l’on demandait une définition de l’intelligence : «L’intelligence, c’est ce que mon test mesure. », répondait-il. Qu’est-ce que la réussite scolaire? N’avons-nous qu’une réponse à la Binet à proposer? Oui, si l’on poursuit dans cette voie, à notre avis sans issue, qui consiste à réduire la nécessaire imputabilité de l’école aux seules statistiques qui permettent de confectionner les palmarès. Une moyenne au bâton ou des états financiers ne sont que l’expression normalisée de coups de circuit sonnants ou d’espèces trébuchantes, dont la réalité est facile à constater. La réussite d’un élève n’entre pas dans la même catégorie et ne s’exprime pas de la même façon.

Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point le système scolaire se méfie, comme consommateur, des résultats scolaires dont il est pourtant producteur. Sur le seul aspect de la maîtrise du français que l’on exige des nouveaux enseignants, cette maîtrise supposément validée par l’obtention du diplôme d’études secondaires n’est pas reconnue par les cégeps, qui imposent leur propre test de français comme condition d’obtention du D.É.C. Test qui est ensuite totalement ignoré par les départements de sciences de l’éducation des universités, qui imposent leur propre test. Ce test universitaire est ensuite disqualifié par les commissions scolaires qui, à titre d’employeurs, imposent d’office la réussite du CÉFRANC comme condition d’embauche, alors que ce sont elles-mêmes qui ont vérifié, en 5e secondaire, la compétence en français de ces candidats! Autant pour la valeur de ces « résultats »…

Est-ce à dire que les indicateurs quantitatifs de réussite des élèves aux examens ne sont d’aucune utilité? Certainement pas. Ils sont utiles comme signaux d’alerte, comme un élément parmi d’autres du regard que l’on porte sur la réalité scolaire, comme facteurs psychologiques de motivation. Mais il faut y renoncer, à notre avis, comme moteurs essentiels des efforts d’amélioration de l’école et des pratiques professionnelles.

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