Le projet éducatif: mode d'emploi (suite)
S'affranchir du passé
La principale hypothèque qui grève actuellement le dossier du projet éducatif dans les milieux scolaires vient du fait que ce dossier n’est pas vierge. L’idée de projet éducatif, en effet, n’est pas neuve. Lancée par le Ministère au tournant des années 80 comme une simple invitation à la réflexion collective, sans définition claire ni outils efficients et dans un contexte d’autonomie limitée des établissements, cette idée a drainé les énergies de plusieurs milieux scolaires, avec des résultats divers. Si, dans certains établissements, l’expérience a conduit à des réflexions utiles et à des pratiques mobilisatrices, force est de reconnaître que l’opération a laissé, dans bon nombre d’autres établissements, des souvenirs mitigés qui ont « vacciné » les intervenants contre toute nouvelle tentative de réactualiser le dossier.
Pour l’essentiel, on reproche à la montagne d’avoir accouché d’une souris. Réunions innombrables, questionnaires interminables et « pelletage de nuages », nous disent les rescapés de cette aventure, ont trop souvent abouti à l’énoncé de quelques valeurs sur papier glacé et à des vœux pieux sans incidences concrètes que le sous-ministre Bisaillon qualifiait plaisamment de « projets éducatifs atmosphériques » et qui terminaient souvent leur parcours sur une tablette poussiéreuse.
Il faut donc d’abord reprendre confiance dans le projet éducatif comme un moyen puissant d’introduire de la cohérence et de la continuité dans les pratiques éducatives de l’établissement et de susciter des actions concrètes et utiles en leur donnant du sens.
Pour cela, il importe d’établir, d’entrée de jeu, que les projets éducatifs des années 2000 ne peuvent plus et ne doivent pas:
confondre les fins et les moyens .
Un projet éducatif (qui est assimilable à la « constitution » de l’établissement) ne peut pas être réduit à une activité donnée, aussi originale ou spectaculaire soit-elle. Un programme d’éducation internationale, un cours d’anglais enrichi, une thématique théâtrale ou un régime de sports-études ne sont que des moyens de servir des intentions éducatives plus générales qui sont précisément l’objet du projet éducatif; les moyens, quant à eux, relèvent des plans d’action. Le projet éducatif se compare, dans le processus de rénovation d’une maison, au plan d’architecte; les plans d’action se comparent, pour leur part, aux plans de chantier de l’entrepreneur. Comme le projet éducatif doit mobiliser l’ensemble des intervenants, il ne peut pas se définir par des moyens qui, par essence, doivent être multiples, diversifiés, souples et révisables: il doit au contraire se définir par des préoccupations plus générales, permanentes, englobantes et capables d’inspirer une foule de moyens différents.
se limiter au seul domaine parascolaire .
La loi précise que l’école réalise sa mission (et notamment sa mission d’instruction) dans le cadre de son projet éducatif. Il en découle que les activités pédagogiques et les préoccupations relatives à l’apprentissage et à la réussite scolaire doivent être au cœur du projet éducatif. C’est à cette condition que des opérations majeures comme la réforme du curriculum et la mise en œuvre des plans de réussite seront vécues comme des éléments de la réalisation du projet éducatif, comme la construction de « pièces » de la maison éducative, et non comme des dossiers à mener en parallèle.
s’articuler en termes de valeurs.
Les valeurs demeurent des moteurs importants de la préoccupation éducative; pensons à la coopération, à l’estime de soi ou au respect des personnes qui sont des éléments importants de la construction de la motivation scolaire de l’élève ou de sa socialisation. À cet égard, elles conservent leur place dans un projet éducatif; mais elles n’en sont plus, comme autrefois, l’objet même ou les articulations fondamentales. Ce rôle, nous le verrons, doit être tenu par un certain nombre de principes directeurs.
se réduire à des voeux.
Sans préjuger des moyens d’action précis qui seront pris au fil des ans pour le mettre en œuvre, un projet éducatif doit être suffisamment précis et détaillé pour inspirer et encadrer durablement les actions futures de l’équipe-école, indépendamment des inévitables mouvements de personnel. Un pieux énoncé sur le « développement intégral de l’enfant » ou sur « le goût d’apprendre » ne suffit pas. De même, un projet éducatif doit s’appuyer non pas sur les préférences des individus, mais sur les besoins et les caractéristiques de la clientèle: celles-là, en effet, sont susceptibles de changer tandis que ceux-ci sont permanents. D’où la nécessité d’identifier précisément ces caractéristiques et ces besoins dans une phase d’analyse de situation et d’y subordonner ensuite les choix qui seront effectués dans la phase d’orientation.